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Page:Sand - La Filleule.djvu/143

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sur moi aucun bijou. Elle avisa le collier de ma chienne et le demanda. Comme il était en or massif et de quelque prix, je fus content de le lui donner ; mais par je ne sais quelle jalousie ou quelle superstition inexplicable, car tout est mystère chez les gitanos, elle tua ma chienne en lui détachant son collier. L’animal fit un hurlement de détresse. Il me fut impossible de voir si ce fut l’effet d’un poison violent ou d’une strangulation rapide ; mais il bondit comme pour mordre la bohémienne, essaya de venir se réfugier vers moi, et tomba mort à mes pieds.

» Pilar s’éloigna en silence et disparut. Je sus bientôt qu’elle avait quitté le pays avec le jeune Rosario, qui n’est pas, je vous le répète, le frère de sa fille, car ce qui l’empêchait de se croire infidèle à Algol, c’était la pensée de n’avoir jamais eu d’enfant de lui. Rosario était un beau garçon, assez doux, peu nuisible pour un gitano, mais lâche, mutin et menteur avec Pilar, qu’il aimait pourtant ; car elle lui tenait lieu de mère, et vous savez que, chez les bohémiens, l’adoption équivaut à la maternité.

» Maintenant que je vous ai dit toute la vérité, comme un honnête homme la doit à un honnête homme, voyez et appréciez ma situation. J’ai, je vous l’avoue, le préjugé de mon pays, et, tout en subissant le prestige de l’amour et de la beauté de Pilar, je n’ai pu vaincre le dégoût moral que sa race inspire à la mienne. Fussé-je libre, je vous jure bien que jamais je ne donnerais mon nom à la fille d’une gitana, me ressemblât-elle trait pour trait, eût-elle toutes les grâces, toutes les vertus de la mère adoptive dont vous me cachez le nom.

» Écoutez-moi encore, monsieur. Si j’étais libre, ou si j’avais subi cet entraînement de jeunesse avant mon mariage, je ne rougirais pas d’avouer que j’ai eu un enfant de la belle Pilar. Mais ici, je suis trop coupable pour n’être pas un peu honteux, et c’est à vous qui m’avez témoigné tant de loyauté et de sympathie, à vous qui m’inspirez tant de confiance, à vous enfin