Page:Sand - La Filleule.djvu/148

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tant ce qu’elle avait pu accaparer d’argent et de nippes. Je ne voulus pas souiller d’une lutte d’intérêts grossiers la maison où mes parents avaient cessé de vivre. Je laissai la pillarde en repos ; je conduisis mon père au cimetière, sans préoccupations indignes de la solennité de ma douleur. Une seule consolation pouvait me la faire accepter, c’était d’avoir subi l’injustice sans me plaindre, et de n’avoir pas eu même un sentiment d’aigreur à me reprocher envers l’auteur de mes jours.

Le malheur qui frappait mon âme changeait ma situation matérielle. Je me trouvais, malgré les dilapidations de la Michonne, possesseur d’un fonds de terre qui m’assurait un revenu bien supérieur à mes besoins, et qui, vendu ou mieux exploité, pouvait me rapporter dix mille francs de rente.

Anicée avait épousé M. de Saule moins riche que moi de patrimoine. Je savais que la question d’argent n’occupait pas sa mère plus qu’elle. Mais j’étais satisfait de pouvoir me dire que désormais je ne tiendrais mon bien-être et ma liberté que de moi-même.

Cette aisance me permettait aussi de me débarrasser de l’emploi gagne-pain qui absorbait la meilleure partie de mon temps dans des occupations matérielles. J’aime le travail manuel ; mais dix heures par jour, c’est trop pour l’intelligence.

Je devenais donc libre de m’instruire plus vite, de prendre plus tôt un état, si madame Marange persistait à le désirer, et de ne pas sacrifier à l’étude les heures bénies que je pouvais consacrer à l’amie de mon cœur.

Il y avait alors une terre de quelque importance en vente dans mon pays, une terre où les miennes se trouvaient presque enclavées. À mon retour, j’appris que madame Marange était rentrée dans une somme assez considérable dont, jusque-là, des débiteurs de son mari lui avaient servi l’intérêt. Elle désirait placer cette somme en terres, et, comme elle