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Page:Sand - La Filleule.djvu/149

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me consultait sur toutes choses, je lui indiquai naturellement celle de Briole, qui lui présentait de fort bonnes conditions.

Elle feignit de vouloir l’acheter et l’acheta en effet. Son but, en paraissant très-soucieuse de cette affaire, était de voir mon pays, mes relations, de s’informer de ma famille, et de pouvoir dire à ceux qui en douteraient que j’avais une existence et un nom honorables, quoique l’un fut obscur et l’autre médiocre. Elle pensait aussi que, si elle devait consentir à mon bonheur, comme un tel mariage donnerait lieu à beaucoup de critiques, il serait bon d’avoir au loin un asile contre les propos, où nous nous laisserions oublier quelques années, pour revenir en possession d’un bonheur domestique et d’une dignité d’attitude dont rien n’aurait troublé la paisible conquête. Elle redoutait pour sa fille et pour moi, beaucoup plus que pour elle-même, l’effet des premiers hauts-cris qu’on ne manquerait pas de pousser.

Au lieu d’aller à Saule, nous partîmes donc pour le Berry, elle, Anicée et moi. Morenita, ne courant plus aucun danger, fut laissée à Saule pour une quinzaine, sous la garde des bons serviteurs, dont on était sûr comme de soi-même.

Que mon émotion fut douce et profonde quand, de la hauteur de ***, j’embrassai les horizons violets de ma vallée natale ! j’étais monté sur le siége de la voiture, et Anicée y était à mes côtés, voulant jouir de ce beau point de vue que je lui avais annoncé en traversant les maigres steppes qui y conduisent. Nous étions ravis tous deux, elle de se voir dans mon pays, moi de l’y avoir amenée, et, dans notre admiration pour ce vaste paysage embrasé des reflets du soleil couchant, à chaque détail observé, à chaque perspective ouverte, nous nous disions notre amour dans chaque jouissance de nos regards, dans chaque parole de notre attention descriptive. Je ne suis pourtant pas certain que nous ayons rien vu