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Page:Sand - La Filleule.djvu/184

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De spectacles, d’émotions, de surprises, de découvertes, de conquêtes ? Non, il a besoin d’être aimé d’abord, et puis de quelques instants de repos absolu après son travail.

Ce repos de l’âme et du corps n’est pas l’oubli de la vie. Ce n’est pas la végétation de la plante ni la digestion de l’animal ; c’est quelque chose qui participe de ces mornes extases de la matière, mais qui n’empêche pas le principe divin de se sentir en possession de lui-même. L’amour rassasié chez les végétaux et chez les bêtes semble ne plus exister quand sa phase est épuisée. Chez l’homme, il s’éternise dans sa pensée, et cette pensée n’admet pas que la mort même puisse l’anéantir, tant elle est puissante et profondément liée à son principe vital. Le souvenir du bonheur et son attente sont vivants jusque dans le sommeil.

Pendant deux heures de cette complète inaction, je n’eus pas une seconde d’ennui, et il me semble pourtant qu’elles ont duré deux siècles. Je ne sais si je pensais, je ne songeais pas à penser ; j’ai pourtant très-bien vu et entendu toutes choses autour de moi. Les myriades d’ablettes argentées qui s’ébattaient au soleil dans les petits lacs creusés sur le sable de la rive par le pied des bœufs ; la gourmandise capricieuse du chevreau qui est venu goûter à toutes les plantes et qui a fini par s’accommoder d’une écorce à ronger ; le sillage muet de la loutre le long des roseaux ; la chasse ardente de la fauvette qui a guetté et poursuivi la même mouche pendant un quart d’heure entier, au milieu de mille autres qu’elle dédaignait ; le niveau de la rivière qui a baissé, à mesure que s’ouvraient les déversoirs des moulins, et qui a laissé les mousses inondées de ses marges bâiller au soleil ; l’ombre des arbres qui était à mes pieds et qui, passant sur moi, a fui derrière ma tête… Où est le plaisir de contempler ou seulement de remarquer tout cela ? Ce n’est ni un plaisir de savant, ni même un plaisir de poëte. Tous deux sont difficiles à satisfaire. Il faut à l’un du beau, à