Aller au contenu

Page:Sand - La Filleule.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autre du rare. Ma jouissance s’accommodait de ce qu’il y avait de moins insolite, de plus vulgaire dans le premier milieu venu, un coin d’herbe et de sable au revers d’un fossé, un réseau de ronces pour cadre et quelques ardoises pour lointain.

Anicée !… tu es dans tout, tu es tout pour moi. Au delà de ces lignes bleues qui encadrent le ciel autour de ta demeure, il n’y a rien dans l’univers dont je me soucie sans toi, comme il n’y a rien que je ne puisse supporter à cause de toi. Là où tu vis ma vie se renferme, là où tu passes elle s’attache à tes pas… Trésor sans prix, inépuisable source d’orgueil intérieur et de pieuse reconnaissance que la possession d’une âme sans tache, d’une clarté sans ombre, d’une tendresse sans défaillance ! Les soleils mêmes ont des obscurcissements, et, dans les abîmes de l’empyrée, on voit l’éternelle lumière subir, au sein des astres, de mystérieuses intermittences. L’amour et la douceur de cette femme n’en ont pas. Elle sera toujours jeune, puisqu’elle pourra mourir courbée sous le poids de l’âge sans avoir commis une faute, sans avoir connu une mauvaise pensée. Trouvez-moi donc une vierge de quinze ans qui puisse me garantir qu’elle fournira encore deux fois cette carrière, sans pécher une seule fois contre le ciel et contre moi, pas même dans le secret de son imagination ! Couronne ton front de cheveux blancs, ma sainte compagne ; moi, j’y ajouterai la couronne de lis et de jasmin des madones.

À trois heures je suis rentré chez moi pour m’habiller. Malgré la liberté de la campagne et de l’absence d’étiquette qu’a toujours pratiquée ma bonne mère, je ne veux jamais me présenter devant elle ou devant sa fille sans être d’une propreté scrupuleuse. L’abandon des soins de la personne est un manque de respect envers les femmes, et je veux respecter ces deux femmes-là jusque dans les plus humbles détails de la vie, et à tous les instants de ma vie.