Page:Sand - La Filleule.djvu/186

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Je ne regrette pas de ne point habiter officiellement le château. Tout y est élégant, commode, agréable à voir et ingénieusement adapté aux aises de cette vie tranquille. J’ai moi-même arrangé ce séjour avec un soin jaloux d’y voir ma bien-aimée ne manquer et ne souffrir de rien. Comme l’oisillon tisse et ouate son nid, nous autres, pauvres humains, nous bâtissons nos demeures avec amour pour cette courte saison qui s’appelle la vie. Plusieurs y mettent de l’orgueil. L’orgueil de la maison que j’ai préparée, c’est celle qui devait l’habiter.

Mais la possession des choses n’est pas ce que s’imagine le vulgaire. Toujours illusoire et précaire, elle est une jouissance à laquelle l’homme raisonnable ne peut attacher qu’un prix relatif. Il ne peut aimer sa maison et son jardin qu’en transformant, dans sa pensée, ces objets matériels en témoins de son bonheur passé ou présent. Si de tels objets deviennent chers, c’est parce que, de l’état de choses, ils passent à l’état de souvenirs.

J’aime donc Briole comme on aime un être abstrait. C’est l’auréole de suavité que respire mon amie, c’est la mienne par conséquent. Je possède cette chose ainsi idéalisée. Mais que je sois seul, que celle dont la présence l’éclaire me soit ravie, que ferais-je de ce sanctuaire vide ? Une relique qui, après moi, serait inévitablement profanée. Ah ! il faudrait pouvoir anéantir tout ce qui a appartenu à un être adoré, comme on brûle ses habits plutôt que de les voir toucher par des mains étrangères !

Je trouve notre vie si bien arrangée, que je souhaite n’y rien changer. Les unions qu’on appelle disproportionnées sous le rapport de la fortune seraient purifiées, même aux yeux jaloux, si l’amour et la religion, et non les intérêts matériels, en formaient le seul lien.

Que le sentier est doux qui, de mon verger, conduit au jardin d’Anicée ! En prenant à travers les prés, je n’ai pas pour