Page:Sand - La Filleule.djvu/221

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qu’elle ne savait pas qu’on pût être la fille d’un homme marié avec une autre femme et d’une femme mariée avec un autre homme. Ses questions enfantines sur ce point firent éclater de rire le gitanillo, dont la délicatesse de sentiments n’était pas excessive. Cette gaieté, à propos d’une chose qui lui semblait si sérieuse, étonna Morenita, la fâcha et la troubla intérieurement, sans qu’elle sût pourquoi.

Rosario, qui tenait à gagner sa confiance, et chez qui la ruse pouvait se prêter à tout, reprit des manières plus graves ; il essaya de lui dire qu’il y avait, en dehors des lois humaines, des mariages que Dieu ne maudissait pas toujours.

— Tenez, s’écria la pauvre enfant, humiliée instinctivement, si ces mariages-là sont criminels, ne me le dites pas, ne me dites plus rien ! Ne me forcez pas à blâmer mon père et ma mère !

Puis, réfléchissant malgré elle, elle ajouta tristement :

— Oui, je le vois bien, se marier avec une personne, quand on l’est déjà avec une autre, c’est mal : on la trompe ; on désobéit non-seulement aux lois faites par les hommes, mais encore à Dieu, par qui on a juré de n’avoir pas d’autre amitié. Voilà, du moins, ce qu’on m’a enseigné, ce que je crois ; et, puisque mon père rougit de moi au point de ne pas vouloir que je sache qui je suis, puisqu’il m’a cachée si longtemps à sa femme, et parait décidé à me cacher au monde, c’est que ma naissance est une honte pour lui, et que je suis, moi, un être méprisable et méprisé !

— Non, ma sœur, répondit Rosario ; les enfants sont innocents de la faute de leurs parents.

— Vous avouez donc que c’est une faute ? reprit-elle avec vivacité. Allons, je comprends tout maintenant ! Mon père a eu deux femmes, ma mère a eu deux maris. Ma pauvre mère en est morte de chagrin en me mettant au monde ; je ne puis que la plaindre et prier pour elle !