Page:Sand - La Filleule.djvu/228

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et de triomphe qu’on appelle frivoles, ce sont les seuls goûts sérieux qu’une femme puisse avoir. Sans eux, elle passe sa vie à avoir quatorze ans, comme votre mère adoptive, qui est encore sous la tutelle de sa maman, et qui n’ose pas avouer qu’elle est mariée. La voilà vieille femme dans une situation ridicule, tandis que, belle encore et charmante, on le dit, elle pourrait briller dans le monde, avoir tous les triomphes de la jeunesse avec tous les profits de l’âge mûr.

— Oui, tout cela est vrai ! s’écria Morenita, dont les secrets instincts de liberté longtemps comprimés, répondaient à la doctrine du gitanillo jusqu’à un certain point. Mamita est esclave de tout et voudrait me river à sa vie d’esclavage et de captivité. Mais elle m’aime et m’a habituée à avoir besoin d’être aimée. La duchesse ne m’aimera pas. Elle fera de moi un jouet comme un petit chien, une négresse ou un perroquet. Et quand elle se dégoûtera de moi, que deviendrai-je, si mamita, fâchée ne veut pas me reprendre ?

— Votre mamita vous reprendra toujours, ne fût-ce que pour conserver son rôle d’ange, qui est sans doute sa coquetterie, à elle. Et d’ailleurs, quel besoin avez-vous de ces tendresses de femme ? Ne savez-vous pas qu’elles sont fort précaires, sinon tout à fait menteuses ? Croyez bien que vous êtes destinée à être haïe de toutes celles qui vous caressent aujourd’hui ; car vous leur mettrez bientôt votre petit pied sur la tête, et la duchesse sera votre ennemie, ce jour-là. Que vous importe ! Croyez-vous donc aussi que la mamita ne vous exécrerait pas, un de ces matins, si votre cher Stéphen s’avisait de reconnaître que sa filleule est plus jeune que sa femme ?

— Stéphen ! s’écria Morenita en se levant.

Ce nom avait réveillé tous les orages de son âme. Elle se rassit sans rien dire, sentant déjà grandir en elle cette force qu’ont les êtres passionnés pour refouler et cacher leurs se-