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Page:Sand - La Filleule.djvu/229

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crets. Mais le gitanillo avait senti vibrer la corde sensible. Il se hâta d’ajouter :

— Jamais votre parrain ne vous fera cet honneur, tant que vous pousserez sous ses yeux comme un petit animal domestique ; mais étendez vos ailes et planez, devenez une reine de la mode, et vous verrez s’il se souviendra de vous avoir ramassée si bas, à moins que ce ne soit pour enrager de vous avoir laissée envoler si haut. Alors ne comptez plus sur les papas et les mamans de la rue de Courcelles. Moquez-vous de la duchesse aussi. Vous aurez une cour, ce qui vaudra mieux qu’une famille, et des esclaves, ce que vous préférerez à des maîtres.

— Vous me tentez, dit Morenita ; mais vous m’abusez peut-être. Où est donc ma puissance pour conquérir ainsi une royauté ?

— Regarde-toi donc, ma sœur, dit Rosario en la conduisant vers la glace.

— Oui, dit-elle naïvement. Depuis que je vous ai vu, vous qui me ressemblez, je m’imagine que je dois être jolie, et à présent que vous vous regardez dans la glace avec moi, en ayant l’air d’être enchanté de ma figure, je me vois par vos yeux et je me plais. Mais suis-je donc mieux que la duchesse et que toutes ces belles dames ?

— Vous êtes autre, dit Rosario. Vous ne ressemblez à aucune ; vous êtes étrange ; c’est être supérieure à toutes, c’est être unique et légitime souveraine chez une race où régnent la lassitude et la fantaisie.

— Mais avec cela il me faudrait de l’esprit, de l’instruction et des talents ! Mes parents adoptifs disent que j’aurai tout cela dans quelques années, mais que je n’ai rien et ne sais rien encore.

— Ah ! je connais cette chanson-là ! répliqua le gitanillo en riant. C’est toujours le même air et les mêmes paroles. Ils m’ont élevé au son de cette serinette. C’est bien eux, avec leur