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Page:Sand - La Filleule.djvu/230

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intelligence épaisse et leur croissance paresseuse ! Ils ne savent pas que les gitanillos mûrissent plus vite. Et puis ces gens qui veulent tout approfondir et qui ne savent pas que la jeunesse n’a pas besoin d’autre chose que de n’être pas vieille ! Ils sont tous plus ou moins Roque, ces philosophes ! Ne crains rien, Morenita de mon âme, nous irons plus loin qu’eux sans nous donner tant de peine ! Si tu viens à me seconder, nous aurons de l’éclat, de l’argent et la liberté !

— Que sais-tu donc ? dit Morenita étonnée ; tu as un état, de l’honneur, un nom ?

— En espérance ! et l’espérance chez moi, c’est la volonté. Je ne suis pas encore lancé à Paris, et n’y suis revenu que pour te voir, pour te sauver de l’enterrement somptueux que l’amour de ta mamita et de ton parrain prépare à ton étoile. Suis mon conseil, quitte-les, et compte qu’aussitôt sortie de cette maison, tu me trouveras à tes côtés pour te diriger et te protéger contre le despotisme hypocrite de tes nouveaux maîtres.

— Est-ce que tu parles de mon père, Rosario ?

— Ton père est un grand enfant qui t’aime en égoïste, et qui te négligera de même quand il verra… Mais il est trop tôt pour t’éclairer sur certaines choses que tu ne comprendrais pas. On t’a tenue dans une si grande ignorance de la vie, que je dois attendre un peu que tu t’éclaires toi-même. Veux-tu faire et dire tout ce que je te dicterai ? veux-tu croire aveuglément en moi, ton seul ami, ton seul véritable parent ?

— Oui, je le veux, dit Morenita, fascinée par la résolution de Rosario et par la promesse d’un incompréhensible avenir. Que faut-il faire ?

— Il faut s’affranchir de tous ces liens factices de la reconnaissance par lesquels la protection nous enchaîne. Il ne faut plus aimer personne dans ce monde d’étrangers ; il faut m’aimer, moi.