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Page:Sand - La Filleule.djvu/231

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— Eh bien, oui, je t’aimerai, mon frère ! Mais ne me quitteras-tu pas ? ne me trouverai-je jamais abandonnée sur les chemins, repoussée de toutes les portes comme l’a été notre pauvre mère ?

— Notre mère n’avait pas de frère. Moi, je ne te quitterai plus dès que tu n’auras plus besoin que de moi. Jusque-là, il faut un peu tromper, Morenita, tromper sans malice, et dans le but légitime de racheter la liberté qu’on t’a ravie. Il faut plaire à ton père et t’installer chez lui. Il faut flatter la duchesse et l’amener à te produire dans le monde. Il faut y plaire, y être remarquée, admirée, y faire beaucoup parler de toi.

— Comment cela ?

— Il faut être coquette, c’est bien facile : tu n’auras qu’à regarder la duchesse ; mais garde-toi de faillir, garde-toi d’aimer, tu serais perdue !

— Oui, je le sens bien, dit Morenita, qui songeait à Stéphen, je serais perdue, je serais humiliée, sacrifiée, traitée comme une mendiante d’affection ; comparée, avec des rires de pitié ou de mépris, aux reines et aux saintes de leur monde. Non, non, je ne dois aimer aucun de ces hommes qui ne sont pas mes frères !

— À la bonne heure ! dit Rosario. Il se fait tard ; adieu ! Demain, je vais quitter Paris, j’irai t’attendre.

— Où donc ?

— Dans un pays où tu viendras inévitablement me rejoindre au printemps.

— Et, jusque-là, je ne te verrai plus ?

— Si fait, quelquefois en secret, si tu es discrète, prudente et résolue.

— Je le suis !

— Eh bien, à toi pour toujours ! s’écria impétueusement le gitano en la pressant dans ses bras avec une énergie qui ne troubla plus Morenita.