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Page:Sand - La Filleule.djvu/235

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Elle a été vaincue, ma pauvre sainte femme ! et, à présent, la voilà consternée.

L’angélique créature a eu la force de nous cacher son désespoir. Voyant dans mes yeux et dans ceux de sa mère combien nous étions inquiets et affectés pour elle, elle a eu le courage de rentrer dans la maison en souriant, en nous tenant la main et en nous disant :

— Que voulez-vous, voilà les enfants ! Une autre à ma place serait désolée ; mais de quoi puis-je souffrir entre vous deux ?

Elle a fait semblant de dîner ; jamais elle n’a été plus attentive pour nous, plus occupée de nous distraire et plus adorablement tendre en nous remettant sous les yeux à chaque instant tous les éléments de notre bonheur domestique. Elle était même gaie, et, tout en riant, elle ne sentait pas couler sur ses joues deux intarissables ruisseaux de larmes.

Je voudrais l’emmener en Berry ou la faire voyager ; car, pendant longtemps, tout dans son intérieur, ici ou là-bas, lui rappellera le souvenir de cette fatale enfant. Je l’y ai préparée par quelques mots jetés comme au hasard. Elle a compris, et, m’embrassant, elle m’a dit :

— Ne crains rien. Je ne suis pas née ingrate, moi ! Il n’appartient à personne de m’empêcher d’être heureuse par ton affection. Je ne rougis pas devant toi d’éprouver ce chagrin inattendu. Il y a peut-être plus de surprise que de douleur dans l’ébranlement qu’il me cause. Mais sache bien que c’était à cause de toi plus encore qu’à cause d’elle-même que je chérissais Morenita. C’était le premier lien entre nous, c’était comme une enfant à nous. Nous nous étions trompés. Ces enfants-là n’appartiennent jamais à personne. Je l’avais toujours senti sans l’avouer. J’étais beaucoup plus à Morenita qu’elle n’était à moi. Elle ne relevait que d’elle-même. Tiens, s’est-elle écriée en se jetant dans mon sein, laisse-moi pleurer sans t’inquiéter