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Page:Sand - La Filleule.djvu/237

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Paris, comme disent les gens du monde, savait qu’une jolie petite bâtarde (fruit d’une erreur de jeunesse), élevée mystérieusement par une madame de Saule (personne fort honorable, mais point répandue), avait été réintégrée dans la maison paternelle par les soins généreux et délicats de la duchesse de Florès. On ne fit pas de longs commentaires sur l’aventure, bien qu’on ne parlât pas d’autre chose dans certains salons. L’histoire de la belle Pilar ne fut point un mystère, la duchesse ayant eu soin de la raconter en secret à quarante personnes de sa connaissance. La seule chose dont on ne sut rien, ce fut la honteuse existence et la triste fin d’Antonio dit Algol. Ce détail eût gâté le charme du roman que la duchesse faisait circuler ; et, Rosario étant encore parfaitement inconnu à Paris, il ne fut pas question de lui.

Le duc avait oublié jusqu’à l’existence de cet enfant, qu’il avait nécessairement perdu de vue et qui, n’ayant aucun lien direct avec sa fille, ne pouvait aucunement l’intéresser. Il n’avait pas même su que Stéphen l’eût fait élever, celui-ci n’ayant pas l’habitude de proclamer ses bonnes œuvres. La duchesse était-elle dans la même ignorance que son mari ? D’où Rosario, inconnu à ce couple, tenait-il tous les détails de leur intérieur qu’il avait confiés à Morenita ? Voilà ce que Morenita se demandait quelquefois ; mais discrète, méfiante et résolue comme son frère lui avait recommandé de l’être, elle ne hasarda pas la moindre question, et le nom de Rosario ne sortit pas une seule fois de ses lèvres.

Ç’avait été un assez étrange ménage que celui des deux époux espagnols ; mais ils vivaient en bonne intelligence depuis que la passion était épuisée entre eux, et la duchesse mettait le sceau à cette pacification en ouvrant ses bras à l’enfant de la gitana.

Le duc, par la fantaisie d’un cœur romanesque, généreux, et mal satisfait de la vie, aimait, en effet, Morenita comme on