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Page:Sand - La Filleule.djvu/261

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lui rendre cette caresse sur le seuil de la grande porte, qui, de la galerie, s’ouvrait sur le salon principal. C’était une protection ouvertement déclarée, dont la plupart des hommes lui surent gré, dont une partie des femmes la blâma. La duchesse tenait beaucoup moins à satisfaire les unes qu’à éblouir et charmer les autres. Après le concert, on soupa. Il était assez tard. Les trois quarts de l’assemblée s’étaient écoulés peu à peu. On retint quelques artistes, les amis restèrent ; des gens aimables et distingués furent naturellement retenus aussi par cette réunion plus choisie. Des femmes gaies ou coquettes prirent leur parti de s’amuser pour leur compte, sans se soucier de se lier trop avec la gitanilla, qui leur inspirait, au reste, une grande curiosité. D’autres, meilleures ou plus intimes, l’acceptaient sans marchander, et même il y en avait là quelques-unes d’assez mûres et d’assez honorables pour consoler la famille de l’échec de la soirée.

Le souper fut très-brillant. Roque se grisa un peu, mais il eut beaucoup d’esprit et fut fort convenable. Les artistes et les littérateurs s’animèrent et furent charmants. Clet, un peu éclipsé, partant un peu morose, se sentit consolé par quelques attentions gracieuses de la duchesse.

La conversation, devenue générale au bout de la table qu’occupait Morenita, vint à rouler sur le gitanillo. Des esprits compétents en parlèrent avec enthousiasme. Une jeune et jolie femme, un peu grisée par son propre entrain, déclara en riant à un de ses voisins, non loin de Morenita, qui l’entendit, qu’elle en avait la tête tournée. Morenita la regarda et sentit un mouvement de triomphe mêlé d’un éclair de jalousie qu’elle ne s’expliqua pas à elle-même. Une ex-cantatrice italienne, un peu vieillotte, prisée pour son esprit et sa rondeur, porta aux nues la grâce et la beauté du bohémien, disant qu’à son âge elle n’avait plus besoin de faire l’hypocrite. Un peintre estimé regretta de ne pas s’être enquis de sa demeure : il eût