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Page:Sand - La Filleule.djvu/262

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voulu voir encore ce beau type et en fixer le souvenir par quelque croquis.

La duchesse demanda à Roque, d’un ton fort naturel, s’il l’avait déjà entendu quelque part, et à Clet s’il ne pourrait pas le retrouver pour lui demander la musique de sa romance. L’un et l’autre répondirent d’une manière évasive, regardant le duc, qui ne se doutait plus de rien, mais qui se promettait intérieurement de ne plus laisser aucun gitano pénétrer chez lui pour y fournir matière à des rapprochements désagréables pour sa fille.

Malgré le resserrement de bienveillance ou d’engouement qui se fit autour du duc, de sa femme et de Morenita, cette soirée laissa des traces pénibles dans leur monde, et, pour qu’on ne s’aperçût pas de la désertion de plusieurs gros bonnets, il fallut que la duchesse étendît ses relations dans le monde de la jeunesse, de la mode et du talent. Ce n’est jamais difficile à une jolie femme riche. Morenita se vit donc bientôt entourée et courtisée de plus belle. Mais le bonheur n’est pas dans cette vie mêlée d’éléments hétérogènes. Morenita continua à s’ennuyer sans savoir pourquoi.

Chose étrange, ce cœur avide de se répandre, cette organisation enfiévrée par l’inquiétude des sens, cette imagination active, cet être où tout concourait à l’irruption de quelque délire, repoussait froidement les séductions de la flatterie et les entraînements du plaisir. Deux types obsédaient sa pensée et remplissaient le cadre de sa prédilection secrète, Stéphen et Rosario : le frère mystérieux, charmant et persuasif ; le père adoptif, parfait mais rigide ; deux absents, deux êtres dont l’existence ne lui paraissait jamais pouvoir s’assimiler à la sienne. Pour tous les autres hommes, Morenita n’éprouvait qu’un mélange de méfiance, de dédain et même d’antipathie qu’elle avait peine à leur cacher.

Elle sentait pourtant que Rosario lui avait dit la vérité, en