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Page:Sand - La Filleule.djvu/263

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lui répétant que, dans sa situation, elle ne pouvait que s’élever par la coquetterie, que redescendre par l’humilité. Elle était donc coquette, mais avec âpreté, avec tyrannie, avec une malice profonde et cruelle dans l’occasion. Aussi inspirait-elle de l’amour et de la haine. Personne ne pouvait lui faire connaître la douceur de l’amitié, personne n’en pouvait ressentir pour elle.

Son âme s’aigrissait rapidement dans cette position fausse et pénible. Le duc n’avait pas su contribuer à la guérir. Il avait reculé devant l’aveu du lien qui l’unissait à elle. Au moment de le lui révéler, il s’était arrêté, effrayé de son caractère impétueux et des exigences qui pouvaient surgir. Trompé par la feinte ignorance de sa fille, il avait traité les propos de la vieille marquise de rêverie, de méchanceté pure. Morenita était restée miss Hartwell, la fille d’un ami de Calcutta et d’une Anglaise morte sur le navire qui l’amenait en France, en lui donnant le jour.

Morenita, en se voyant mystifiée ainsi, avait écrit sur une page de son journal :

« Vous me faites orpheline, mon père ? Eh bien, tant mieux ! vous me faites libre ! »

Elle s’était donc redressée de toute sa petite taille, et Clet, qui prenait du dépit contre elle, comme bien d’autres, commençait à la comparer à un petit serpent qui veut toujours mordre, parce qu’il rêve toujours qu’on lui marche sur la queue.

Altière avec les valets, souple, caressante et moqueuse avec le duc, qui souffrait toujours de ses instincts violents ; roide et hautaine avec la duchesse, qui supportait ses frasques de caractère avec une douceur et une insouciance inouïe chez une personne autrefois violente et impérieuse, elle remplissait la maison paternelle de ses caprices et l’agitait parfois de ses fureurs. Elle réparait tout très-vite par d’involontaires élans