Page:Sand - La Filleule.djvu/271

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pendant trois mois, Rosario vint presque tous les soirs passer trois ou quatre heures avec Morenita. Ce fut une vie étrange que celle arrangée par la duchesse pour sa pupille et pour elle-même. Contrairement à ses habitudes de luxe, de mouvement et de bruit, elle s’enferma dans une retraite absolue, disant à Morenita qu’elle voulait lui rendre un peu du bonheur tranquille qu’elle avait goûté chez madame de Saule et qu’elle avait peut-être raison de regretter. À ses amis, elle écrivait qu’elle était souffrante ; aux personnes qu’elle connaissait à Gênes et aux environs, elle disait en riant que, n’ayant pas son mari auprès d’elle, elle se considérait comme une veuve momentanément inconsolable, et n’avait l’appétit d’aucun autre plaisir que le repos des champs. S’il y avait à s’étonner de cette résolution dans son caractère et dans ses habitudes, il n’y avait rien à y reprendre, car sa conduite extérieure était irréprochable, et, dans sa maison même, malgré l’assertion de Rosario, personne n’eût pu surprendre la trace d’une intrigue pour son propre compte.

L’intrigue surprenante par sa liberté et sa sécurité, c’était celle que Rosario entretenait dans la maison avec l’innocente Morenita. À neuf heures du soir, la duchesse se couchait et s’endormait très-réellement, pour se réveiller à cinq heures du matin. Elle se promenait dans son jardin toute seule, brodait ou lisait d’un air fort calme, ensuite déjeunait avec Morenita à midi, recevait ou rendait avec elle quelques visites ou faisait quelque promenade en voiture, rarement une course à Gênes pour des emplettes, ou pour examiner à loisir une des belles collections de tableaux qui enrichissent les palais. Soit qu’elles dînassent dehors ou chez elles, tête à tête ou avec quelques personnes, ces deux femmes se retrouvaient seules, le soir, de fort bonne heure. La duchesse commençait aussitôt à bâiller, riant de l’habitude qu’elle prenait de se coucher comme les poules, disant qu’elle s’en trouvait fort bien, et engageant Mo-