Page:Sand - La Filleule.djvu/276

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Morenita ; jamais je ne repasserai le seuil de leur maison ! je l’ai juré, et je ne suis pas si faible que tu crois.

— Eh bien, alors, tu n’auras pas d’autre refuge que le sein de ton frère, et il faudra bien que tu fasses avec lui le métier de bohémienne. Seulement, je te l’ai préparé un peu moins dur, un peu moins vil qu’il ne l’est pour tes pauvres sœurs. Au lieu de chanter ou de danser dans la rue, tu brilleras sur les théâtres ; au lieu de te parer d’oripeaux et de clinquant, tu auras de la soie et du velours ; au lieu de coucher à la belle étoile ou dans les granges des châteaux, tu voyageras en poste et tu descendras dans des palais. Tu seras enfin une artiste, une cantatrice vantée, adorée. Tu seras entourée d’hommages, et, comme tu les aimes…

— Tu mens, je les déteste !

— Si c’est vrai, tu fais bien ; car je veux que tu les reçoives, mais je ne veux pas que tu y cèdes, et, le jour où tu aimerais un autre homme que ton gitano, malheur à toi, ma sœur ! Apprends donc vite et bien ce que je t’enseigne ; ce n’est peut-être pas demain que cela te servira ; mais je sais que le jour doit venir où tu m’appelleras à ton aide et où tu me remercieras de t’avoir donné un état plus utile que tous les talents d’agréments par lesquels, Dieu merci, au reste, on t’y a préparée.

Le ton de domination tantôt protectrice, tantôt menaçante d’Algénib, n’effrayait déjà plus Morenita. Elle s’y était habituée ; elle se sentait aimée, ce qui diminuait beaucoup le sentiment de la peur ; elle se sentait disputée, ce qui satisfaisait son besoin d’occuper exclusivement un cœur agité et exigeant comme le sien propre.

Le mois d’août approchait. Morenita avait fait des progrès si rapides, elle prononçait si bien sa langue maternelle, elle chantait d’une façon si adorable les ravissantes créations d’Algénib, elle mimait avec lui des scènes chorégraphiques d’une grâce si