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Page:Sand - La Filleule.djvu/277

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voluptueuse, que le gitano se sentait ivre d’orgueil, de joie et d’amour. Éperdu et tremblant, quand leurs voix argentines et fraîches mariaient leurs doux accords au milieu du silence de la nuit, ou quand leurs bras s’enlaçaient devant la glace où se rencontraient leurs brûlants regards, vingt fois il faillit s’oublier, se trahir, et hasarder pour un moment d’ivresse l’avenir de bonheur et de fortune qu’il se préparait.

Cependant, jamais aucun écho indiscret ne s’était réveillé dans la villa, au bruit léger de leurs pas, aucune brise n’avait porté leurs doux accents à des oreilles attentives ou curieuses. Morenita eût dû se dire que cela était d’autant plus extraordinaire, que Rosario n’y mettait aucune prudence. Mais la confiante ou téméraire jeune fille n’y songeait guère et se laissait persuader que la duchesse était trop occupée de son propre secret pour épier ou pour vouloir troubler le sien.

Ce secret de la duchesse n’était pourtant guère vraisemblable. Rien n’en trahissait, rien même n’en pouvait faire soupçonner l’existence.

Une nuit que Rosario se retirait et longeait le mur extérieur du jardin, un petit caillou, tombé à ses pieds, l’avertit de lever la tête. Il passait en ce moment au pied d’un kiosque qui formait l’angle. Plusieurs fois déjà il avait obéi à ce signal. Le kiosque avait une sortie sur le chemin qu’il suivait, et il était situé de manière que Morenita ne vît rien de ce qui se passait, lors même qu’elle serait restée à sa fenêtre pour écouter les pas de son frère se perdre dans l’éloignement.

Le gitano, averti et soumis, poussa la porte du kiosque et y entra.

— Eh bien, mon cher enfant, lui dit la duchesse du ton de bonté protectrice qu’elle avait toujours eu avec lui dans leurs rares mais significatives entrevues, vous avez donc vu votre sœur, ce soir ? Concevez-vous les cachotteries de cette chère enfant, qui ne me parle jamais de vous ? Si le hasard ne me