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Page:Sand - La Filleule.djvu/304

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— J’ai passé au laminoir, dit-elle en souriant. À présent, ne voulez-vous plus de moi ?

Clet, éperdu et enthousiasmé, la prit dans ses bras, et redevenu le cavalier espagnol des rêves de sa jeunesse littéraire, il s’écria, comme dans une de ses nouvelles :

— À toi pour la vie, mon âme, ma lionne, ma panthère ! etc.

Morenita avait tout son sang-froid.

— Hâtons-nous, dit-elle. Le portier sonne dans le cloître pour m’avertir de votre visite… Écoutez… oui ! Nous avons le temps avant qu’il soit retourné à son poste. Il n’est même pas nécessaire que vous me cachiez sous votre manteau. Cela nous retarderait ; il faut courir !

Et, sans attendre sa réponse, elle s’élança vers la porte du parloir, qu’il avait laissée ouverte, franchit, avec la rapidité d’une flèche, le couloir qui conduisait dehors, passa devant la loge du portier, où il n’y avait personne, et franchit la porte extérieure avant que Clet, embarrassé dans son manteau et craignant d’éveiller l’attention ou la méfiance par trop d’empressement, eût traversé la cour.

Il s’applaudit de son calme en entendant le portier rentrer sans émoi dans sa loge. Alors il se hâta, franchit le seuil de la rue, vit la portière de son fiacre ouverte, et Morenita assise au fond. Il s’élança à ses côtés, ordonna au cocher de sortir tranquillement de la rue, puis de fouetter de toutes ses forces jusqu’à la sortie de la ville.

Son premier mouvement fut de serrer Morenita contre son cœur ; mais elle se dégagea avec effroi, et, ramenant sa mantille autour d’elle, cachant sa figure dans ses deux mains, elle se renfonça dans son coin, muette, farouche, et comme épouvantée du tête-à-tête.

Cette terreur soudaine de la part d’une personne si résolue l’instant d’auparavant, surprit Clet, mais, loin de le blesser, le flatta beaucoup. Cette crainte, ce trouble, cette