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Page:Sand - La Filleule.djvu/310

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elle une intrigue dont voici le résultat. Il l’enlève ! Libre à vous, monsieur le duc, de courir après eux, et de tuer l’amant de votre fille comme vous avez tué l’amant de votre femme. Ce ne sera pas trop de deux meurtres pour la gloire d’un si bon père et d’un époux si fidèle ! Mais, quoi que vous fassiez, vous boirez la honte de votre alliance avec la race égyptienne. Miss Hartwell a fait trop de bruit dans Paris, elle a brillé d’un trop vif éclat dans vos salons pour qu’on oublie son apparition et pour qu’on ignore sa destinée. Rendue aux bons instincts de sa nature, elle va courir les chemins en secouant les grelots d’un tambour de basque et en profilant sa gracieuse cambrure à la lueur des étoiles, comme feu madame sa mère, d’irrésistible mémoire. Moi qui ai mené toutes ces choses à bonne fin, à l’intention de M. le duc et de madame Rivesanges, cette divine madone qui a donné à sa chère Morenita de si bons exemples à défaut de bons principes ; moi qui me venge ainsi des premières et des dernières trahisons de mon noble maître, j’attends le châtiment qu’il voudra bien m’infliger pour tant de scélératesses. Me fera-t-il le plaisir de m’abandonner ? Hélas ? non : le monde en parlerait. Se donnera-t-il celui de me battre ou de me tuer ? Non ; car voici un témoin qui dirait que M. le duc est un assassin et un lâche. Enfin égorgera-t-il mon amant dans mes bras ? Je l’en défie ; car je n’ai point d’amant, et j’ai au moins la consolation de pouvoir le maudire et le braver en face !

Ayant ainsi parlé d’une voix étranglée par la douleur et la colère, cette terrible Espagnole tomba roide sur le tapis, en proie à des convulsions effrayantes. L’infortuné duc s’arrachait les cheveux. Clet les sépara, et, les ayant laissés aux soins de leurs gens, rentra chez lui consterné, malade lui-même, et frémissant désormais à l’idée d’entrer dans une famille si déplorablement troublée.

Pendant que ces choses se passaient à Paris, Stéphen et