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Page:Sand - La Filleule.djvu/32

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III


— Sais-tu qu’elle est très-belle, cette misérable créature ! disait Roque tout en dévorant. On voit bien en elle le spectre d’une de ces ravissantes gitanelles que Michel Cervantes ne dédaigna pas de chanter. C’est un pan ruiné de l’Alhambra. À propos, toi qui apprends tout, sais-tu par hasard ce que c’est que cette race immonde qui porte encore au front le sceau de je ne sais quelle grandeur déchue ?

— Ce sont, lui répondis-je, des Indiens pur sang qu’on a baptisés de tous les noms des pays traversés par eux dans leur longue et obscure migration à travers le monde, égyptiens, bohèmes, zingari…

Et cætera, reprit Roque, en attaquant un autre plat. Il en est d’eux comme de ces fossiles que l’on trouve épars sur tous les points du globe, et que le vulgaire foule aux pieds sans se douter que ce sont les ossements du monde primitif.

Là-dessus Roque entama une dissertation qui, accompagnée d’une mastication acharnée, dura près d’une heure, et qui aurait pu durer toute la nuit, si la mère Floche ne fût entrée, portant dans son tablier quelque chose qu’elle prétendait nous faire embrasser et bénir. C’était un petit avorton roulé dans un vieux tapis de pied d’où sortait une face violacée, des yeux fermés, des traits informes.

— Fi ! ôtez cela ! s’écria Roque ; c’est affreux à voir quand on mange.

— Un enfant qui vient de naître, c’est sacré, monsieur !