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Page:Sand - La Filleule.djvu/332

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Un soir que nous étions réunis au salon, Morenita, qui était dans un moment d’expansion et de gaieté, jouait avec une petite caille apprivoisée dont nous avions tous admiré la grâce et la gentillesse.

— Elle est si belle et si sage, dit-elle, que je veux que vous l’embrassiez, mamita !

Elle l’approcha des lèvres de ma femme, qui causait avec Roque, arrivé chez nous la veille. Anicée baisa machinalement le dos lisse et propre du petit animal, et continua sa conversation. Roque lui parlait tout bas de Clet, qui venait de faire un assez brillant mariage.

Morenita, qui n’entendait pas, et qui, malgré la rouerie insigne de son aventure avec le pauvre Clet, était toujours un petit enfant, posa sa caille sur la table pour la voir marcher. L’oiseau alla du côté d’Algénib et se blottit dans sa main. Algénib la porta à ses lèvres et l’embrassa aussi.

Morenita devint pâle, et lui dit à demi-voix, d’un ton irrité :

— Pourquoi l’embrassez-vous, vous qui n’aimez pas les bêtes ?

— Je ne sais pas, dit Algénib, qui avait l’esprit de n’être jamais galant avec elle.

— Moi, je le sais ! reprit Morenita, impétueuse et comme désolée.

— Si vous le savez, dites-le donc.

— Vous savez, vous, que je ne peux pas le dire. Mais répondez, est-ce cela ?

— Oui, c’est cela, répondit Algénib, la regardant en face.

— Ah ! mon Dieu ! c’est donc pour me rendre folle et méchante encore une fois ? s’écria Morenita en se levant. Donnez-moi ma caille, je veux lui tordre le cou !

— Que dit-elle donc là ? demanda Anicée surprise, en se retournant.