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Page:Sand - La Filleule.djvu/333

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Elle vit Morenita qui allait étrangler sa caille. Algénib la lui reprit avec autorité, et, la donnant à ma femme :

— Sauvez-la, madame, dit-il d’un air fort animé, vous qui plaignez tout ce qui est faible, et qui relevez tout ce que le monde foule aux pieds.

Anicée regarda Morenita, qui tremblait de colère. C’était le premier orage depuis son retour.

— Mais qu’est-ce qu’il y a donc ? dit-elle en s’adressant à sa mère et à moi, qui avions contemplé cette petite scène avec la même stupéfaction.

— Il y a que ta fille est jalouse de toi, dit madame Marange en levant les épaules, moitié riant, moitié grondant.

Morenita jeta un cri de douleur, et, s’élançant vers ma femme, elle tomba à ses genoux et cacha sa figure dans ses mains, qu’elle prit pour les couvrir de larmes et de baisers.

Algénib souriait d’un air de dédain, ma femme caressait Morenita avec inquiétude et ne comprenait pas.

— Madame, dit Algénib, j’ai dérobé un baiser à cette charmante petite créature que vous avez là dans votre manche, et Morenita trouve que c’est une injure que je lui ai faite. Voilà pourquoi elle veut la tuer.

— Tuer sa caille ? Mais elle est donc folle ! dit Anicée.

— Mamita, dit Morenita en se levant, je vous aime ; mais vous me ferez mourir, je sens cela. Ce n’est pas votre faute, ce qui arrive ; mais c’est égal, il faut que je vous quitte. Il y a huit jours que j’y pense, et, ce soir, je le veux, renvoyez-moi au couvent. J’en mourrai, puisque je ne peux pas vivre sans vous ; mais je mourrais ici, puisque je ne peux pas vivre avec vous !

Elle s’enfuyait, hors d’elle-même et en proie à un véritable accès de démence. Algénib courut après elle, la prit dans ses bras et la rapporta plutôt qu’il ne l’amena aux pieds d’Anicée.