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Page:Sand - La Filleule.djvu/44

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vivre et cela seul peut te consoler de ne plus vivre à mes côtés.

Je fis une rencontre qui me contraria d’abord, mais à laquelle je me laissai aller peu à peu, par ce sentiment de commisération morale que je ne pouvais vaincre. Sur plusieurs points de la forêt, je me trouvai face à face avec un garçon un peu plus âgé que moi, agréable de figure et mis avec plus de recherche que moi dans sa tenue de touriste. Il me prit d’abord pour un de ces maraudeurs problématiques qu’on voit errer dans les régions écartées, et dont il est souvent difficile de s’expliquer l’oisiveté inquiète. Quand il vit que j’herborisais et chassais aux insectes, il chercha à lier connaissance et s’y prit avec tant de courtoisie, que je me laissai imposer plusieurs fois sa société.

Ce fut une société agréable par elle-même, mais à laquelle pourtant j’eusse préféré la solitude. Je n’aime pas la conversation ; je suis de ces esprits qui s’assombrissent en se résumant.

Hubert Clet était un fils de famille dérouté dans la vie, qui était censé chercher un état, et qui avait la ferme résolution de n’en trouver aucun digne de ses facultés. Né et élevé à Paris, fils d’un industriel aisé, assez répandu déjà dans le monde des artistes élégants, plus spirituel que capable et plus aimable qu’aimant, il cachait une immense vanité sous les dehors du savoir-vivre. L’estime qu’il se portait à lui-même ne se révélait donc pas par des affirmations de mauvais goût, mais elle se trahissait par sa manière de raisonner.

D’abord, il me crut au même point de vue que lui. Il crut que je méprisais tous les moyens offerts par la société actuelle à l’emploi de ma capacité. Mais quand il vit que, loin de là, je doutais assez de moi-même pour vouloir prendre le temps de m’instruire avant de m’utiliser, que je ne reniais pas le devoir, mais que je m’y soumettais au contraire dans l’avenir,