Page:Sand - La Filleule.djvu/47

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fragments qui combleront cette lacune, et qui ont sans doute été réunis à dessein par lui à ses mémoires.)


lettre de madame de saule à madame marange

Mère chérie, dépêchez-vous de revenir. Savez-vous que c’est long, six mortels jours sans vous voir ! Vous ne m’avez pas habituée à cela, et me voilà déjà comme une âme en peine, ou plutôt comme un corps sans âme. Vous me direz que j’ai un frère pour me tenir compagnie. Bah ! vous savez bien que c’est de votre compagnie que j’ai besoin, et que celle de M. Julien est une chose fantasque et passagère que je n’ai pas la prétention d’accaparer. Il chasse du matin au soir, ce cher enfant, et, s’il est invisible tout le jour pour les gens sédentaires comme nous, du moins il rentre à la nuit, très-gai et très-aimable, quelque poudreux, crotté ou éreinté qu’il soit. Dormez en paix sur le compte de votre Benjamin, chère petite mère. Il se porte à ravir, et je crois qu’il est aussi sage que vous pouvez souhaiter.

Votre grande fille, je devrais presque dire votre vieille enfant, est moins raisonnable. Quand vous n’êtes pas là, elle s’ennuie de tout, elle ne sait que faire de sa vie. Que voulez-vous ! il me semble que je ne suis rien par moi-même, que c’est par vous que je pense, que je raisonne et que j’existe.

Quand vous allez revenir, je vous raconterai toute une histoire… Mais puisque vous n’arrivez qu’après-demain, pourquoi ne vous la conterais-je pas tout de suite ? C’est si bon de causer avec vous ! il n’y a que cela de bon. D’ailleurs, vous serez au courant d’avance, et vous ferez vos bonnes petites réflexions en chemin ; car vous allez voir que j’attends votre décision, comme de coutume et pour toute chose.

Hier matin, l’ami de Julien, ce joli petit M. Hubert Clet, que