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Page:Sand - La Filleule.djvu/48

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je ne trouve ni sot ni fou, puisque vous ne voulez pas que je juge trop sévèrement les enfants que votre enfant distingue, s’est avisé, à déjeuner, de me raconter une triste aventure qui s’est passée, il y a six semaines, je crois, à trois lieues de nous, au village d’Avon : Avon-Monaldeschi, comme vous dites.

Une pauvre égyptienne, dont on n’a pu savoir le nom, est venue accoucher et mourir, dans l’espace d’une heure, chez de bonnes gens qui ont gardé l’enfant et qui en prennent soin. L’enfant, quoique un peu noir (ou plutôt jaune), est joli comme un amour. Le récit de M. Clet m’a donné l’idée d’aller me promener jusque-là en voiture, avec lui pour guide et notre bon vieux chevalier pour chaperon, quoique, en vérité, il ne me semble pas qu’une femme de trente ans et un garçon de vingt ans puissent jamais se croire en tête-à-tête. Mais vous voulez que votre fille soit comme devait être la femme de César, et vous avez raison. Je suis trop fière que vous vouliez être fière de moi, pour risquer jamais une étourderie.

Nous avons trouvé M. et madame Floche (c’est un ancien jardinier et une ancienne laitière, qui ont bien cent trente ans à eux deux) occupés à laver et à babichonner la petite Morena avec autant de propreté, d’adresse et de tendresse que si c’eût été le fruit de leur antique union. Hélas ! ces bonnes gens sont comme moi : ils n’ont pas eu d’enfants ; mais ils ont vieilli ensemble, et moi, sans ma mère, je serais une triste veuve.

La petite fille est un bijou ; la brebis noire qui la nourrit est une bonne bête. Je suis restée là, une heure, à m’amuser, comme un enfant que je suis encore malgré les trois cheveux blancs que vous m’avez trouvés l’autre jour sur la tempe droite.

Et puis est arrivé le parrain et le protecteur de l’enfant ; car il faut que vous sachiez qu’il y a un bon être qui a promis de veiller sur elle et de la faire vivre aussi longtemps et aussi bien qu’il pourrait. C’est un tout jeune homme, de l’âge de notre Julien, qui jouit, le croiriez-vous, de douze cents livres de