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Page:Sand - La Filleule.djvu/55

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pant, traîné par un cheval superbe. Ce jeune homme, beau, grand et fort, déjà barbu jusqu’aux oreilles, paraissait beaucoup plus âgé que moi ; mais je vis bientôt que c’était un véritable enfant, et un enfant gâté, qui pis est. Il était bien élevé et ce qu’on appelle bon garçon ; mais ses vanités étaient puériles. Il plaçait son bonheur et sa gloire dans ses habits, dans ses équipages, dans ses armes de chasse, dans ses moustaches, que sais-je ! jusque dans ses bottes. Il fut heureux, pendant le trajet, de la pensée que j’étais ébloui de son élégance. Un petit accident qui nous arriva me haussa un peu dans son estime. Son beau cheval perdit un fer et se mit à boiter. Je m’en aperçus le premier et le priai d’arrêter.

— Pourquoi ? me dit-il ; au prochain village nous trouverons un maréchal ferrant.

— Qui fera boiter l’animal bien davantage, parce qu’il n’aura pas de chaussures convenables pour son pied. Votre cheval est panard, monsieur, tout magnifique qu’il est, du reste. Il n’y a donc pas longtemps que vous l’avez ?

— Ma foi, non, huit jours.

— Et vous l’avez acheté sans voir que ses fers de devant sont plus épais sur un bord que sur l’autre, parce que son pied ne pose pas également par terre ?

— Vous êtes sûr de ça ?

— Très-sûr ; venez vous en assurer vous-même.

Nous descendîmes, et pendant qu’il constatait le fait d’un air de mauvaise humeur, je fis quelques trentaines de pas sur la route que nous avions parcourue, et je retrouvai le fer.

— Mon cher ami, vous êtes l’obligeance même, me dit mon compagnon, et, ma foi, je vous avoue, ajouta-t-il naïvement, que je ne vous aurais pas cru si bon juge. J’ai été enfoncé de mille francs sur ce cheval-là. Vous ne l’avez examiné qu’un instant avant de partir, vous avez vu sa tare qui m’avait échappé, à moi, après trois heures d’examen et d’essai.