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Page:Sand - La Filleule.djvu/56

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— Ce n’est pas une tare. Ayez soin qu’il soit toujours ferré convenablement, et il vous fera autant de service qu’un autre.

— Où diable avez-vous appris à vous connaître en chevaux ? On me disait que vous étiez un savant en us, et je me suis toujours figuré les savants distraits, ignorant toujours les choses réelles, fort maladroits de leurs mains et ayant la vue basse.

— Je ne suis pas savant, lui dis-je, et j’ai été élevé à la campagne. Mon père est propriétaire ; mon grand-père était fermier, fils d’un simple paysan. J’ai le droit de savoir observer un peu les animaux.

Nous arrivâmes au château de Saule, une belle et suave retraite entre la Seine et la forêt, et jetée à mi-côte dans les collines rocheuses qui dominent le fleuve et la vallée. Du château, qui était une maison fraîche, vaste et plus commodément adaptée à la vie intime que nos vieux manoirs du Berry, on embrassait une vue à la fois riante et immense. Le jardin descendait en pente vers la Seine. Le parc montait vers la forêt, et couronnait de ses derniers arbres la crête du monticule. De là aussi, la vue était belle, plus belle à mon gré. Elle plongeait sur ces bassins de rochers épars dans la verdure, et embrassait ces horizons boisés, imposants et mélancoliques, qui font ressembler la forêt de Fontainebleau à quelque solitude inculte du nouveau monde.

Je n’avais pas apporté de toilette à Avon. La meilleure raison pour ne pas me présenter en habit, c’est que je n’en avais pas. Pour le reste, ne comptant rendre visite qu’aux grands chênes et aux petits ruisseaux de la contrée, je m’étais muni des vêtements les mieux appropriés au genre de vie que je devais mener. J’arrivais donc, chez des dames du monde, en blouse, en grosses guêtres, et, comme je me rappelle les moindres circonstances de cette première visite, en linge fort propre, mais assez grossier. J’avais encore mon trousseau du pays, des