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Page:Sand - La Filleule.djvu/62

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instant, il est vrai ; mais, dans cet instant, l’une faisait faire tant de chemin à l’autre par l’ardeur de son sentiment et le courage de son esprit, qu’elles ne pouvaient revenir sur leurs pas ni l’une ni l’autre.

— Ma chère mère, s’écria-t-elle, vous dites que vous ne voulez pas que je m’expose à des chagrins ; c’est impossible ; pour cela, il faudrait me rendre égoïste et commencer par m’en donner l’exemple : c’est ce que vous n’avez jamais pu et ne pourrez jamais faire. D’ailleurs, il n’y a pas de chagrins que je ne puisse supporter sans grand mérite, puisque je vous ai pour me consoler et me dédommager de tout. Laissez donc dire ce grand philosophe, cet homme mûr et froid qui fait comme vous faites toujours, c’est-à-dire qu’il commence par se dépouiller, s’engager et se sacrifier, après quoi il donne aux autres des leçons de prévoyance et de méfiance. Demandez-lui donc s’il s’est occupé des mécomptes et des déceptions qui l’attendent peut-être, le jour où il s’est chargé de cette enfant. Voulez-vous donc avoir à l’estimer plus que moi ? J’en serai très-jalouse, je vous avertis. Et vous, monsieur Stéphen, vous êtes un orgueilleux qui voulez garder tous les risques et toutes les peines pour vous seul. Vous craignez que je ne gâte votre filleule ? vous supposez qu’elle aura tant d’intelligence, qu’elle sera forcément comme un diable dans notre bénitier ? Eh bien, je vous dis, moi, que si c’est une créature supérieure, c’est un crime d’étouffer l’intelligence et une lâcheté de ne pas la développer à tout prix ; car l’intelligence a des droits sacrés, et, si on les méconnaît, c’est alors qu’elle s’irrite et devient ennemie des autres et d’elle-même.

Madame Marange était ébranlée, et, moi, j’étais vaincu.

— Tenez, dit la bonne mère, pour terminer, il n’y a pas de théories absolues devant l’avenir, et, de tout ce que nous prévoyons là, si quelque chose arrive, ce sera d’une manière