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Page:Sand - La Filleule.djvu/74

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un peu paresseuse dans son enfance, faute de vanité ou à force de bonheur ; car, outre qu’elle avait eu la meilleure des mères, c’était une nature heureuse par elle-même. Mais son cœur, doué d’une bienveillance, d’une commisération, d’un dévouement extrêmes, lui tenait lieu d’imagination, de science et d’activité. Elle devinait tout cela par le sentiment personnel, et, comme jamais son sentiment personnel n’avait rien d’égoïste, d’hypocrite ou de lâche, elle avait dans le cœur des décisions souveraines, des solutions sans réplique, des sagesses toutes divines.

Elle présentait donc ce contraste enchanteur d’une personne très-raisonnable et très-spontanée, douce comme l’abnégation, résolue comme le dévouement ; faible devant tout ce qui demandait de la tolérance, forte devant tout ce qui exigeait de l’équité. Les gens qui la connaissaient peu la jugeaient froide et nulle, à cause de sa vie austère et de sa complète absence de coquetterie. Ceux qui la connaissaient davantage la trouvaient romanesque dans sa confiante bonté. Ceux qui la connaissaient tout à fait la jugeaient comme je viens de la peindre.

— Elle est tout cœur des pieds à la tête, disait le vieux chevalier de Valestroit, l’ami d’enfance de son grand-père. Sa conscience, son esprit, son instruction, sa grâce, tout part de là.

J’aurai l’occasion de parler davantage de ce vieillard qui l’appréciait si bien, parce que lui-même, ridiculement ignorant pour un homme, avait, comme Anicée, des puissances de cœur qui suppléaient à tout. Il faut que je reprenne le fil de mon histoire ; je m’aperçois que je suis un narrateur bien malhabile, et que j’écris comme j’ai vécu, en m’arrêtant à chaque pas pour admirer ce qui me charme, sans songer à gagner le but.

Je dois pourtant dire absolument, avant de passer outre,