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Page:Sand - La Filleule.djvu/79

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nants. En général, ces deux femmes vivaient comme cachées dans leur sanctuaire, subissant les visites avec une aménité résignée, et préférant une vie réglée et uniforme à tout autre genre d’existence.

C’est ainsi que j’avais vécu près de ma mère, et la destinée d’Anicée dans le présent était si semblable à la mienne dans le passé, qu’auprès d’elle je croyais recommencer à vivre dans les conditions normales de mon être.

Roque, cédant à ma prière et aux aimables avances de madame Marange, vint passer une journée avec nous. Il était trop bon et trop droit pour ne pas apprécier tout de suite ces deux femmes ; il remarqua vite une chose qui ne m’avait pas frappé, et qui ne changea rien à mes sentiments quand il me la fit constater : c’est que madame Marange, avec son ton simple et sa vie modeste, était extrêmement instruite pour une femme. En cela, elle dépassait sa fille ; mais elle cachait ce genre de supériorité avec un soin extrême, et il fallait pour s’en apercevoir, toute l’obstination naturelle que mettait Edmond Roque à ne vouloir pas s’intéresser aux choses vulgaires, et le besoin qu’il avait continuellement d’élever la conversation à des résumés de science abstraite, quand il ne pouvait la faire rouler sur des faits de science positive. Il était pédant, mais de bonne foi, avec tant d’amour et si peu de vanité, qu’il fallait bien l’accepter ainsi, et l’aimer quand même. Par obligeance, par bonté, par savoir-vivre, madame Marange lui laissa donc voir qu’elle le comprenait. Elle était la veuve d’un homme qui avait cultivé modestement les sciences par goût et par aptitude naturelle ; elle n’était pas une femme savante, mais rien de ce qui avait intéressé son mari ne lui était étranger.

J’ai dit par quelle supériorité d’élan dans la tendresse Anicée redevenait l’égale, et, à mes yeux, plus que l’égale de son admirable mère ; mais Roque n’en jugea pas ainsi ; il trouva