Page:Sand - Le Beau Laurence.djvu/46

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je ne la reconnaissais pas ; c’était celle de Moranbois.

Nous avions passé sept nuits et six jours sur recueil entre la vie et la mort. Ce qui advint de ma personne, je ne vous le dirai pas d’après mes impressions personnelles, je fus complètement abruti et comme idiot pendant une semaine. La plupart de mes camarades subirent la même conséquence de nos misères ; mais je vous tiendrai au courant, d’après ce que je sus par Bellamare et Moranbois, à mesure que je recouvrai la raison et la santé.

La dernière nuit de notre martyre sur l’écueil maudit, Bellamare avait été réveillé en sursaut par le matelot qui voulait l’étrangler pour le manger. Il s’était défendu, et le résultat de la lutte avait été un plongeon de l’ennemi dans la mer. Il n’avait pas reparu, et personne ne l’avait pleuré ; seulement, Lambesq avait exprimé quelque regret de ce que, l’ayant occis en cas de légitime défense, Bellamare avait cédé aux poissons les restes de ce misérable. Lambesq ne reculait nullement devant l’éventualité de manger son semblable, si peu appétissant qu’il fût, et, s’il s’en fût senti la force, je ne sais à quelle tentative il se fût porté contre nous.