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Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/80

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EUGÈNE. — Sois donc le machiniste ! On te confie cette partie importante. Maurice et moi faisons mouvoir et parler les personnages. Toi, au dénoûment, tu dresses la foule des personnages muets sur le râteau, et tu fais les feux du Bengale et le murmure du peuple au fond du théâtre. Tu tires les coups de fusil et de canon dans la coulisse ; tu fais le tonnerre, les éclairs, la grêle, le tambour, le grelot des mules, le zing-zing des guitares, le roulement des voitures et le murmure harmonieux des vagues. Quel état, mon cher !

MAURICE. — Et les pièces, qui les fera ? Nous avons déjà un assez joli répertoire, mais nous n’aimons pas à nous répéter, et le génie s’élance toujours vers les horizons nouveaux. Il nous faudra des pièces de circonstance…

DAMIEN. — D’actualité.

EUGÈNE. — Et de localité ! Eh bien, nous travaillerons tous trois en collaboration, et nous inviterons les beaux-esprits des villes de province à nous confier des canevas que nous développerons en improvisant.

DAMIEN. — Si nous avons la liberté de la pensée et de la parole, et nous ne la tenons pas encore, la république des lettres !

MAURICE. — N’ayons pas d’idées noires. À chaque jour suffit son mal, et si nous devons faire un métier de chien tôt ou tard, que ce soit gaiement.

DAMIEN. — Je le veux bien, et figurons-nous que notre mal passager et celui de bien d’autres servira au contentement et au salut de tous. Ferons-nous de la politique avec le théâtre ?

MAURICE. — Remuer les passions ? Non ; mais élever les sentiments, voilà le but de l’art, et c’est pour cela qu’à travers les obstacles, les rigueurs et les méfiances, nous pourrons toujours glisser quelque vérité utile, sous une forme légère et divertissante.

EUGÈNE. — Savez-vous que cela pourrait être plus sérieux et plus utile que de brailler dans les assemblées politiques pour ne rien dire ?