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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/253

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rage, elle a gardé sa foi et sa clémence toujours au service des victimes que de nouvelles fureurs pourraient venir briser encore sur la pierre de son foyer. Son rôle est bien grand, je t’assure ; et plus je la vois entourée de dangers, plus je la trouve digne de respect et d’amour, cette femme pure au milieu de l’orgie, et calme au sein des fureurs qui grondent autour d’elle. Il me semble qu’elle remplit là un devoir plus auguste que celui d’une reine au milieu de sa cour, et qu’en cherchant une vie plus paisible et plus élégante elle renoncerait à une mission que le ciel lui a confiée.

— Ô Pierre ! dit le Corinthien ému, ton esprit ennoblit les choses les plus viles et divinise encore les plus élevées. Oui, la Savinienne est une sainte ; mais je ne puis l’aimer sans désirer de l’arracher à l’enfer.

— Tu le feras un jour, répondit Pierre. Quand tu auras conquis, à la sueur de ton front, une existence plus douce, il te sera permis d’y associer ta compagne. Alors elle aura bien assez travaillé, bien assez souffert pour ses nombreux enfants du Tour de France ; et ce changement de position sera la récompense, non l’abjuration de ses devoirs.

— Et dans combien d’années cela arrivera-t-il ? s’écria le Corinthien avec une expression de déchirement dont Pierre fut vivement frappé.

— Ô mon cher enfant ! lui dit-il, je ne t’ai jamais vu si pressé de vivre. Comment ! le courage te manque-t-il à l’heure de ta vie où tu as le plus de force et de puissance ?

Le Corinthien cacha son visage dans ses deux mains. Assis sur un arbre renversé dans le parc du château, les deux amis s’entretenaient ainsi depuis une heure. C’était un dimanche, et les ménétriers qui se rendaient au rond-point pour le bal champêtre, passaient le long du mur extérieur en jouant de leurs instruments, au milieu