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Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/151

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sa femme. Alors peut-être pourrais-je me flatter de lui inspirer de l’amour. Je cachai mon chagrin et je demandai à être mise au couvent n’importe où.

« M. Brudnel se décida pour Venise et m’y conduisait. Je pris sur moi de feindre une résignation enjouée ; ma faiblesse et ma pâleur démentaient ma résolution. Sir Richard me conduisit en gondole jusqu’à la porte du monastère, m’observant beaucoup, mais paraissant tout à fait décidé à se séparer de moi.

» Je soutins l’épreuve sans savoir que c’en était une. Comme je me levais pour sauter sur le quai, il me retint :

» — C’est assez, me dit-il ; vous avez montré plus de raison et de courage que je n’en attendais de vous. Je vois que vous pouvez acquérir de la volonté et que votre caractère commence à mériter de l’estime. Restons à Venise, je ne vous quitterai pas encore.

» Je me jetai à ses pieds, je baisais ses mains, j’étais ivre de joie. Il paraissait très-ému, mais, au bout d’un instant de trouble, il me repoussa doucement.

» — Il faut, me dit-il, réprimer ces expansions qui seraient prises en mauvaise part, si nous n’étions pas cachés par le drap noir de cette gondole.

» — Mais puisque personne ne nous voit, répondis-je, ne dois-je pas vous dire ma joie et vous adorer pour tout ce que vous avez fait pour moi ?