Aller au contenu

Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nous enlève la confiance et le respect de nos femmes, le prêtre qui, fanatique ou modéré, est obligé par son état de leur dire que nous sommes damnés si nous ne nous confessons pas, qui, par conséquent, les habitue à séparer leur âme de la nôtre, et à rêver un paradis d’égoïstes dont nous serons exclus ! Oui, maudit soit le prêtre qui ne nous marie que pour nous démarier au plus vite, lui qui a déjà prélevé ses droits sur la virginité de l’esprit et la pureté de l’imagination de nos femmes en leur apprenant ce que nous seuls eussions dû leur apprendre. »

Lucie devint pâle devant l’énergie un peu délirante de son grand-père.

« Comme tout cela est affreux ! dit-elle en se laissant retomber sur son siége après avoir fait de vains efforts pour calmer le vieillard. Ô Émile, nous sommes bien malheureux ! »

Elle pleurait amèrement. La colère du vieux Turdy s’apaisa tout à coup, et il lui demanda pardon de sa violence avec de touchantes puérilités. Pour moi, j’avais la mort dans l’âme, car je sentais qu’il m’était à jamais impossible d’accepter un mariage comme ceux dont il venait de révéler les douleurs et les hontes morales. Lucie comprit mon silence, et, après avoir apaisé son grand-père par ses caresses, elle vint à moi et me prit le bras pour marcher dans le salon, comme si elle eût voulu chasser les images qui venaient d’être évoquées devant elle.

« Émile, me dit-elle enfin en s’appuyant sur moi avec abandon, oublions tout cela, et cherchons le moyen de gagner du temps ; oui, il nous faut absolument le temps de nous confesser l’un l’autre jusqu’au fond de l’âme, à moins que vous n’ayez perdu toute espérance de m’amener à vous ou de venir à moi !