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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/239

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Et puis, et puis je veux tout vous dire, à vous seul. Émile, qui n’a pas fait cette découverte, ou qui n’a pas conçu ce soupçon, est bien assez agité. S’il lui faut lutter encore, laissons-lui ce calme qui l’a fait triompher aujourd’hui ; mais pesez mes observations, je veux vous les donner très-complètes.

L’abbé était aplati. Lui qui, une heure auparavant, disait à Émile : « N’entrez plus dans cette maison, vous en serez chassé, vous serez forcé de vous battre avec le terrible général, » c’était à son tour de quitter la maison et d’y laisser Émile. Le général s’est montré terrible en effet, mais contre sa fille seulement. Il lui a adressé une semonce de Croquemitaine qu’elle a écoutée avec sang-froid et que je n’ai guère entendue. Toute mon attention était absorbée par l’abbé Fervet, qui paraissait près de se trouver mal. Un instant j’ai cru qu’il allait tomber de sa hauteur, et voyez comment je suis humanitaire ! je m’apprêtais à l’empêcher de se fendre la tête sur les dalles ; mais il s’est raffermi : son front, qui est beau, il n’y a pas à dire, avait l’air de vouloir toucher le ciel. L’humiliation et la colère ont disparu, la douleur seule est restée, mais quelle douleur ! Elle était immense, effrayante. Ses yeux agrandis étaient attachés sur Lucie avec un mélange de reproche ardent et d’épouvante désespérée. Mon ami, cet homme de cinquante ans est jeune et beau encore ; c’est l’âge des passions terribles, surtout pour les prêtres. Ce n’est pas la fortune de Lucie qu’il veut donner à l’Église, ce n’est pas son âme qu’il veut donner au ciel… Je me trompe peut-être, mais venez et voyez vous-même, car c’est à vous qu’il appartient de dessiller les yeux du général, ceux de sa fille aussi. Ni Émile ni moi n’oserions toucher une question si délicate devant elle ; le grand-père est trop vieux, la vieille tante est… trop grasse. Venez, c’est à vous d’être ici le véritable