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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/241

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« Avez-vous du feu ? »

Heureux d’en être quitte à si bon marché, je lui ai offert un très-bon cigare à la place de sa pipe éteinte et cassée.

« Au moins vous fumez, vous ! a-t-il repris en allumant le cigare et en gardant la pose et le ton tragiques ; cet Émile n’a aucun de mes goûts ! C’est un bel esprit, un esprit fort, comme son père. Et voilà que ce petit monsieur s’arrange de manière à ne pas quitter la place ! Le vieux Turdy le protége et prétend marier ma fille contre mon gré. C’est ce que nous verrons, sac-à-laine ! c’est ce que nous verrons ! »

Émile m’avait donné le bon exemple : j’ai répondu avec une douceur diplomatique, j’ai plaidé de mon mieux sa cause ; mais j’ai vite remarqué que ce n’était pas le moyen de calmer le général. Il est de ces gens qui abusent de la longanimité des autres et auxquels il faut tenir tête. Je n’avais pas ce droit-là, mais j’ai bien vu que sa fille savait le prendre et qu’elle pouvait s’en servir au besoin avec succès.

Elle est revenue au bout d’un quart d’heure et m’a prié de rester. Alors, prenant avec autorité les grosses mains de son père dans ses petites mains :

« Vous avez été fort méchant avec moi tout à l’heure, mon général ! vous allez me demander pardon.

— Un bon pardon à coups de cravache, voilà ce que tu mériterais, toi !

— Bats-moi si tu veux, a répondu Lucie en le tutoyant tout à coup, ce qui a paru lui être agréable : je supporterai cela de bonne grâce et avec plaisir pour l’amour de mon grand-père.

— Ton grand-père, ton grand-père !… un vieux entêté !…

— Pis que cela, un vieux athée, mais qui n’en ira pas