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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/243

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— Et pourtant tu m’y pousses sans y prendre garde !

— Moi ?

— Oui, toi ! Supposons que j’aie pour M. Lemontier une préférence bien décidée, une affection… complète !

— Cela n’est pas.

— Tu n’en sais rien ! »

Le général a bondi comme s’il était frappé d’une balle.

« Comment ! je n’en sais rien ? Je devrais le savoir, et je le sais !

— Tu ne le sais pas, et c’est ta faute. Tu es arrivé ici bardé de fer, le drapeau en main, et parlant d’exterminer tous les hérétiques. Tu étais si effrayant, que j’ai eu peur d’être hérétique moi-même.

— Tu l’es devenue ?

— Tu vois bien ! tu vas demander des fagots ?

— Mais, sac-à-laine ! je suis donc ridicule ?

— Tu le deviendras, si tu continues ! »

J’admirais les ressources du caractère et de l’esprit de Lucie pour se plier ainsi ou plutôt pour se forcer à la nuance brusque et tranchante qui seule peut être saisie par l’intelligence rétive de son père. Les yeux de celui-ci se sont tournés vers moi, lançant de gros éclairs, comme pour me dire : « Malheur à toi, blanc-bec, si tu souris ! » J’étais sur mes gardes ; je m’étais éloigné un peu, j’avais l’air de ne pas entendre : je suivais un point noir qui glissait sur le lac, la barque qui emportait Moreali. Le général s’est, de son côté, éloigné de quelques pas, emmenant sa fille et lui parlant d’Émile en tâchant d’assourdir le diapason peu flexible de sa voix irritée. Lucie m’a appelé :

« Il faut que vous sachiez tout, car je ne sais pas encore, moi, si mon père ne va pas fermer la porte de la maison à double tour derrière Émile et derrière vous quand vous en serez sortis. Eh bien, je veux qu’Émile et