Page:Sand - Souvenirs de 1848.djvu/433

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de ses contemporains, et encore plus tard, jusqu’à Jean-Jacques Rousseau, qui le goûta si fort dans sa première jeunesse.

Jean-Jacques... écrivons vite ici ce nom vénéré, pour ne pas chercher une nouvelle querelle à M. Mario Proth, qui le hait d’une haine impie, sans se douter, sans s’apercevoir qu’il lui doit une forte part de cet individualisme qu’il est si jaloux de proclamer.

Il y a encore ici, dans ce cerveau très puissant, une lacune que le temps et la réflexion combleront à coup sûr. L’individualisme (le mot est bien barbare sous la plume d’un écrivain aussi élégant et aussi indépendant que lui) — l’individualisme n’est qu’un aperçu de la vérité ; c’est un droit sacré de penser et d’agir à sa guise tant que cette part de vérité n’écrase pas sa sœur jumelle, qui pourrait s’appeler le socialisme et qui a droit de vie à tout aussi juste titre. Aucune vérité n’a droit de mort sur les autres vérités, car il y en aura en apparence plusieurs jusqu’à ce que le couronnement de cet édifice-là soit trouvé.

Toutes nos réserves faites, suivons M. Mario Proth comme un guide vraiment intéressant et sûr à la recherche du monde enchanté de l’Astrée ; il a toutes les aptitudes et toutes les facultés d’un heureux explorateur ; il sera, nous osons le prédire, un éminent critique quand le bouillonnement de sa jeunesse se dégagera de l’excès de sève qui, sous prétexte de personnalité, tombe à l’exclusivisme. Il est bien permis, il est même bien nécessaire qu’un artiste et un critique aient une croyance ; sans cela, point de méthode