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Page:Sand - Theatre de Nohant.djvu/123

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CHRÉMYLE.

Tout ce que tu dis là, nous le ferons faire par nos esclaves.

LA PAUVRETÉ.

Et où en trouverez-vous ?

CHRÉMYLE.

Vraiment ! nous en achèterons.

LA PAUVRETÉ.

Et qui voudra vous en vendre ?

CHRÉMYLE.

Bah ! ces marchands de Thessalie, qui vivent, comme on dit, du produit de la chair humaine.

BACTIS, tressaillant.

Ô dieux !

LA PAUVRETÉ, lui mettant la main sur l’épaule.

Oui, ces gens qui vont à la chasse aux hommes au péril de leur vie ! Voilà, Chrémyle, comment tu entends la justice ?

CARION.

Quand nos maîtres seront riches, les esclaves seront bien nourris, bien vêtus…

LA PAUVRETÉ.

Tu parles comme un homme dégradé par la servitude ; mais, toi, Chrémyle, tu confonds toutes choses, et tu n’entends même pas tes intérêts. Ne vois-tu pas que Plutus n’est qu’une force inerte, un leurre, et que, pour t’instruire, les dieux te l’envoient couvert de haillons, infirme et repoussant ? Va, ne demande pas qu’il recouvre la vue, car il ne saurait pas s’en servir. Il ne peut rien par lui-même, et, s’il visite un jour également tous les hommes, c’est moi et mon frère le Travail qui l’aurons forcé d’ouvrir ses mains avares ! En attendant, ne te fie pas aux promesses que tu lui arracherais et ne persuade pas aux autres de me chasser, ou bien compte que tu ne trouveras plus personne pour porter avec toi le fardeau de la vie. Tu seras forcé de bêcher ton champ tout seul et de mener une existence beaucoup plus dure que tu ne penses. Tu n’auras ni lits ni tapis pour te coucher :