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Page:Sand - Theatre de Nohant.djvu/124

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quel ouvrier voudra en faire, s’il compte que le salaire lui viendra endormant ? Lorsque tu célébreras des noces dans ta maison, tu n’auras point d’essences pour parfumer tes convives, plus de ces étoffes artistement brochées et magnifiquement teintes dans la pourpre, dont se paient les jeunes époux, plus de vases précieux, honneur des familles, plus de vins généreux, plus d’autels de marbre, plus de temples, plus de jeux, plus de bains, plus rien de ce que vous estimez utile ou nécessaire. Allez, pauvres aveugles, ne vous mettez pas sous la conduite de ce malheureux qui est la proie des mauvaises passions et la cause de tous les crimes. Vous ne voyez pas ses hideux satellites rangés autour de lui ! Non, vos yeux abusés n’aperçoivent pas ce cortège sinistre : l’orgueil, l’envie, la sottise, la fureur, la mollesse, l’insolence, la folie, le mensonge et la lâcheté ! Ces furies bercent son sommeil funeste, tandis qu’autour de mes veilles fécondes veillent avec moi trois compagnes fidèles : la probité, la sagesse et la persévérance.

CHRÉMYLE.

Il y a du vrai dans tout cela.

CARION.

Quoi ! mon maître, vous voilà déjà ébranlé et prêt à tomber dans ses pièges ? Ô verges et carcans ! tu as menti, détestable Pauvreté ! Ton cortège, à toi, ce sont les tiraillements de la faim, les cris, les plaies et la vermine ! Tes présents, les haillons, une natte pourrie pour tapis, une pierre pour oreiller, de la mauve au lieu de pain et de méchantes feuilles de rave accommodées en bouillie ! En fait de siège, tu donnes à tes convives le couvercle d’une amphore brisée, et, en guise de mortier pour broyer leur grain, un vieux fond de tonneau plein de fentes. Pour la nuit, tu leur procures une litière de joncs pleine de cousins, insectes maudits, qui, de leur voix aiguë et implacable, chantent aux oreilles du pauvre longtemps avant l’aurore : « Allons, debout ! le sommeil est inutile à qui doit mourir de faim ! » Qu’as-tu à répondre ? Ne sont-ce pas là tes bienfaits ?