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Page:Sand - Theatre de Nohant.djvu/293

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MARIELLE.

J’aime ton dépit, mon vieux Ergaste. Il ferait beau voir un ancien soldat, qui n’a jamais déserte son drapeau, rabaisser l’excellence de son métier, aujourd’hui qu’il est comédien ! Mais j’ai dit comme toi, avant d’avoir lu les pièces que ce jeune homme a su tirer de nos vieux canevas.

ERGASTE.

Quel jeune homme veux-tu dire ?

MARIELLE.

Celui que nous avons connu à Paris, chez Riberio. Ah ! Riberio Fiurelli, mon maître et mon modèle en la partie des Scaramouche ; il ne se doutait guère, lorsque le petit Poquelin venait l’admirer et le consuslter, qu’il enseignait plus de sérieux que de bouffon à ce généreux esprit.

FLORIMOND.

Généreux vous plaît à dire ; je le tiens, moi, pour un méchant copiste et pour un plaisant larron. Quoi ! parce que l’on aura compilé une vingtaine de bons canevas italiens, pour en tirer l’essence de deux ou trois mauvaises comédies françaises, on sera un estimable auteur ? Cet auteur-là passera de mode, croyez-moi.

MARIELLE.

Que ce soit de lui ou de tout autre, nous serons volés, vous dis-je : c’est la loi du Parnasse. Le génie est un grand conquérant, autant vaut dire un grand pillard.

FLORIMOND.

Votre Molière n’est point un esprit créateur, je lui refuse le génie.

MARIELLE.

Le génie, c’est l’ordre dans la fantaisie. M. Corneille, que vous ne pouvez pas méconnaître pour grand et excellent poëte, ne fait point autre chose que de polir les rudes diamants que M. Hardi, M. Desmarets, M. Scudéri, M. Tristan, M. Théophile et vingt autres avaient dégrossis. Mais laissons ces beaux esprits tranquilles et songeons à notre métier ! Quelle heure est-il ?