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Page:Stahl - Maroussia, 1878.djvu/152

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MAROUSSIA

Cinq, six… C’est la meilleure manière de compter selon moi… sept, huit… Mon feu père, — qu’il repose en paix ! — comptait toujours ainsi… neuf, dix… et il comptait si bien que les plus habiles ne réussissaient jamais à le tromper… onze, douze… »

Ivan avait laissé dire ; seulement, d’un air distrait, il s’était versé une troisième rasade, et pendant qu’il la dégustait, il écouta silencieusement les réflexions de Knich sur les mœurs des prêteurs d’argent polonais et sur leur aptitude pour les affaires.

Peu à peu les piles de cuivre s’étaient alignées, et sa sacoche était vide.

Maître Ivan se versa une quatrième rasade, l’avala d’un trait et, cela fait, il apparut à Knich plus farouche que jamais. Son front s’était couvert de plis qui n’annonçaient rien de bon ; sa figure s’était assombrie de nuages menaçants. Il ne sonna mot aux adieux affectueux que lui adressait le vieux fermier. Il se souciait bien, vraiment, des politesses du pauvre homme ! Il compta d’un air sévère la somme qui lui était destinée, la mit dans sa poche, sortit d’un pas rapide, détacha son cheval, qui mangeait tranquillement de l’avoine, donna à la pauvre bête un coup de poing en l’appelant « goulue, » sauta dessus, daigna relever un tantinet la visière de sa coiffure, en réponse aux saluts multipliés de Knich, la rabattit ensuite d’un air terrible sur ses noirs sourcils et, partant au galop, disparut dans la steppe immense ;