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ÂME BLANCHE

sur une chaise et j’ai bien envie, bien envie de goûter à ce riz…, tellement, que je ne résiste pas à la tentation de passer mon doigt, légèrement, à la vérité, sur le bord des assiettes ; je vais porter à mes lèvres ce pauvre petit doigt à peine barbouillé du délicieux dessert quand Mme Veydt pénètre dans la chambre et clâme, tombant sur moi comme la foudre :

— Ah ! je vous y prends, Mademoiselle !

C’est tout et c’est épouvantable : c’est la surprise en flagrant délit de vol et j’en suis si confuse, si humiliée, si désespérée que je sens que j’en pourrais mourir ; j’ai la conviction d’avoir enduré en cette fatale minute un supplice véritablement surhumain.

Mais à cette impression désolante en succède une autre, éprouvée presque simultanément, de telle façon que celle-ci et la première, gardées si longtemps en ma mémoire, ont fini par s’y confondre, par ne plus faire pour moi qu’une seule image aux contrastes frappants ; bouleversée d’avoir été prise en faute, je fondais en larmes, quand, soudain, avec cette singulière mobilité de l’enfance, je me mis à battre des mains joyeusement, tournée à des idées folâtres par un spectacle bien imprévu : un cortège de grands mannequins, promenés par la ville en l’honneur de la kermesse, passait devant nos fenêtres et, placée comme je l’étais, je les distinguais parfaitement. Les yeux encore humides,