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Page:Yver - Princesses de Science.djvu/162

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princesses de science

Puis, voyant l’assiette vide de son mari :

— Ah ! mon pauvre chéri ! mon pauvre chéri ! comme je suis ennuyée de te voir si mal déjeuner !

Et, comme un silence pénible pesait dans la salle à manger, Dina, qui suivait le cours de ses pensées, crut faire une diversion heureuse en racontant :

— Nous avons rencontré tout à l’heure ce bon monsieur Adeline qui promenait ses enfants. Savez-vous dans quel endroit il les avait conduits ? À la Morgue, docteur, à la Morgue !

Elle riait encore en songeant à l’air embarrassé de « ce bon monsieur Adeline » traînant avec lui sa bande indisciplinée. Il avait pris sur son déjeuner le temps de cette excursion macabre, faite à la diable, entre deux expéditions à l’économat de la Pitié. Affolé par les espiègleries des quatre écoliers en vacances, il ressemblait à ces veufs maladroits et pitoyables qu’on voit parfois chargés d’enfants. Contraints, misérables, ignorants des gestes de la mère, ils s’efforcent de la remplacer, mais sans atteindre à sa subtile adresse féminine ; ils y perdent même le rôle de leur paternité normale et deviennent un parent neutre, tour à tour violent et faible, dépourvu d’autorité.

— Oui, reprit mademoiselle Skaroff, on dirait un veuf. Sa femme est là pourtant, et si excellente, la pauvre doctoresse ! Mais voilà, son métier la surmène. Appelée au dehors à toute heure, le jour, la nuit, comment pourrait-elle encore s’occuper régulièrement du bien-être des siens.