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Page:Yver - Princesses de Science.djvu/355

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princesses de science

— On vous a fait encore quelque peine chez vous ?

La tendre femme n’avait dans le cœur qu’un mauvais sentiment : elle haïssait Thérèse. Elle s’exaspérait à sa seule pensée, voyait en elle une créature détestable, maussade, méchante, lui inventait mille défauts, la jugeait implacablement.

— Non, dit-il, ma femme ne m’a pas fait de peine nouvelle. Thérèse a, je vous le jure, de très belles qualités, que je reconnais. Elle est bonne, très attachée à sa conception personnelle du devoir. Elle a compris le mariage d’une façon égoïste et parcimonieuse, mais ne s’est jamais départie de ce qu’elle croyait être le bien. Et c’est ce qui fait le tragique de ma situation. Ma vie, près d’une telle compagne, fut une longue suite de petites misères. Elle ne m’a jamais causé le grand chagrin qui délie, qui libère ; et je me sens comme une obligation de l’affectionner encore, de ne pas la briser en lui révélant la ruine de notre bonheur.

Madame Jourdeaux se redressa lentement au-dessus de la broderie qu’elle gardait entre ses doigts sans y travailler, et, les paupières palpitantes, elle dit, avec un air détaché :

— Vous l’aimez encore, mon pauvre ami.

Guéméné éprouvait un scrupule qui l’empêchait d’articuler brutalement cette phrase : « Je n’aime plus ma femme ». C’eût été, lui semblait-il, une injure trop grossière à la dignité de Thérèse, et une trahison trop imméritée. Il chercha un détour.