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Page:Yver - Princesses de Science.djvu/366

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princesses de science

blissement. Ne l’aimait-il pas déjà ? La pensée d’être trompée depuis longtemps peut-être envahit Thérèse et l’atterra. Elle souffrit d’abord dans son estime pour Fernand. Avec la plénitude de sa confiance, elle avait cru lui voir une âme aussi limpide que la sienne ; mais il la décevait en secret. Cette duplicité chez celui qu’elle aimait lui fut la plus cruelle douleur. La jalousie proprement dite ne s’infiltra que plus lentement dans cette âme fière. Mais quand cette orgueilleuse Thérèse eut bien compris qu’on délaissait une femme comme elle pour une madame Jourdeaux, elle endura des tourments moins nobles, plus profonds, plus terribles.

Elle imagina des espionnages indignes : elle irait les surprendre, un jour ; ce serait sa vengeance que leur confusion. Ou bien elle le ferait suivre et le confondrait d’une autre manière… Et elle ne rêvait pas à ces différentes formes de revanche au cours de longues heures d’oisiveté, comme une autre femme, mais pressée, harcelée du matin au soir par sa tâche virile. Elle emportait sa torture avec elle, et sans cesse ressassait son chagrin, en fiacre, dans la rue, en franchissant les portes de ses clientes, en gravissant les étages. Il lui fallait un effort pour s’en libérer au chevet de ses malades. C’étaient, la plupart du temps, de jeunes épouses près de qui veillaient des maris anxieux, dont l’amour se révélait dans les yeux, dans les gestes. Alors l’impassible doctoresse, supérieure et illisible, de qui la malade attendait éperdument son salut, frémissait,