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princesses de science

Notre destin nous a rapprochés ; je vous ai trouvé si triste, si malheureux, que moi, votre cadette, plus triste, plus seule encore que vous, je vous ai adopté dans mon cœur. Votre malheur mettait en vous comme une faiblesse. Je me suis sentie soudain l’aînée, la plus forte.

Et, riant puérilement, elle se mit à dire :

— Parfois je me figure avoir deux fils : l’un tout petit, l’autre très grand, très grand. Et ils me sont également chers… Mais qu’avez-vous donc aujourd’hui ?

Il brûlait d’avouer le trouble nouveau qu’apportait dans sa vie le renoncement de sa femme ; mais la crainte que sa scrupuleuse amie ne vît désormais dans le retour de Thérèse un obstacle à leur amitié le retenait. La femme de chambre, en annonçant le déjeuner, lui épargna de plus longues incertitudes.

Il ne fit guère honneur à ce repas auquel la tendre femme avait apporté tant de soins pour lui plaire. Les propos qu’ils venaient d’échanger, la métamorphose qu’il voyait s’opérer en elle, et, par-dessus tout, l’affligeant souvenir de Thérèse en larmes, la torture qu’il avait endurée là-bas, le travaillaient sourdement. Certes madame Jourdeaux devenait plus belle. Il la regardait sans cesse. Le besoin de l’union absolue grandissait en lui, et, plus conscient qu’elle, il s’apercevait bien que la même passion, insidieusement, grandissait en son amie. D’ailleurs quelle existence menait-il entre une femme qu’il n’aimait plus et une autre qui se déro-